Grosso modo, il est ressorti trois types de personnes dans le débat sur les gaz de schiste. D’abord, les partisans d’un moratoire, ensuite les deux groupes en faveur de l’exploitation. Nationalisation chez les uns, libre-marché chez les autres.
Pour le « type B », la nationalisation serait le seul moyen pour les Québécois de réellement profiter de la ressource. Ils nous disent que des compagnies « étrangères » nous fourrent en faisant de l’argent sur « nos » ressources. Un discours que j’ai déjà entendu sur à peu près tout ce qui rapporte de l’argent au Québec: bois, aluminium, mines…
Prenant exemple sur Alcan dans la région, j’ai affirmé qu’il est faux de prétendre que les entreprises étrangères ne laissent aucune retombée sur les milieux. Même si ça pouvait être plus difficile à croire dans le domaine des gaz de schiste étant donné que peu d’emplois locaux sont créées, je pense que ça ne peut que s’améliorer à mesure que l’industrie va s’enraciner.
En Islande, je vous en ai parlé, un débat fait également rage sur la propriété des ressources naturelles. Il y a d’abord eu l’opposition à l’industrie de l’aluminium, puis, cette année, toute la saga de la vente de HS Orka à la canadienne Magma Energy.
La chanteuse Björk, sur toutes les tribunes pour dénoncer Magma, a lancé une pétition qui a recueilli un peu plus de 20000 signatures. 20000 personnes sur 310000, 20000 personnes qui demandent que la propriété des ressources naturelles demeure islandaise.
Mais pourquoi « islandaise » voudrait nécessairement dire État? Björk, qui n’est pas pauvre, et sa gang d’opposants ne pourraient pas gratter leurs fonds de tiroirs? Il me semble que HS Orka resterait tout aussi islandaise si elle était détenue par 20000 personnes résidant en Islande.
Les signataires de la pétition demandent en quelque sorte au gouvernement de faire l’achat de la compagnie à leur place. Ça me rappelle le fameux slogan « l’État c’est Nous » de Louis Préfontaine!
Si « l’État c’est nous », nous sommes donc forcément « actionnaires » de la SAAQ, RAMQ, HQ, SODEC, SAQ, CSST… Dites-moi, c’est quand la dernière fois où vous avez été convié à l’assemblée des actionnaires? Si c’est à nous, comment ça se fait que nous n’avons aucune influence sur le fonctionnement des dites sociétés? Pas sur que des actionnaires d’une entreprise privée laisserait faire de tels abus de comptes de dépenses comme on a vu dans le passé dans ces entreprises qui sont censées être les nôtres. Mais l’entreprise privée laisse à ses actionnaires éminemment plus d’influence que les sociétés d’État, qui ne sont redevables qu’à celui qui les possède et non ceux qui les font vivre (de force).
En 1990, le libertarien islandais Hannes Hólmsteinn Gissurarson publiait le livre « Fiskistofnarnir við Ísland: Þjóðareign eða ríkiseign? » (Les stocks de poissons près de l’Islande: Propriété de la nation ou de l’État?) dans lequel il propose une nouvelle manière de gérer les pêcheries (archives Mbl 1990). Ceci dit, je pense que sa théorie générale s’applique à peu près à tous les modèles de collectivisation d’une ressource ou d’un service.
Hannes (rappelez-vous, en Islande on s’appelle par son prénom) ne fait rien de moins qu’un plaidoyer en faveur du modèle coopératif, qui constituerait selon lui la vraie nationalisation. Car quand l’État prend le contrôle, il le fait selon ses intérêts et ceux des groupes qui gravitent autour et non des citoyens ou des personnes qui ont intérêt à ce que la démarche soit un succès.
On pourrait faire l’exercice de comparer le pouvoir d’un comité de parents d’une école de quartier avec celui du CA de la caisse populaire de ce même quartier.
Lise Payette a nationalisé l’assurance-automobile en invoquant comme une des raisons que certains assureurs privés faisaient tout leur possible pour ne pas payer, contestaient les séquelles des clients etc. Parlez à certains avocats aujourd’hui, la SAAQ fait la même chose.
Et c’est une thèse qui n’est pas du tout incompatible avec les idées de gauche. Selon « Union Révolte », elle serait même marxiste. Sans aller jusque là, dans un texte de 2004, la social-démocrate Svanfríður Jónasdóttir se prononce pour la propriété publique, non à celle de l’État dans le débat sur les ressources naturelles de l’Islande.
Son observation est intéressante: la propriété de l’État a la même base légale que la propriété privée. Ainsi, l’État peut disposer de sa propriété de la même manière que n’importe quel propriétaire privé. En termes clairs, ça veut dire que l’État n’aurait pas, par exemple, à consulter le peuple pour se défaire de ses actifs puisque les actifs ne sont pas au peuple mais à l’État. La propriété publique signifierait au contraire que le peuple a le pouvoir définitif sur comment il en dispose, par exemple par référendum.
De quoi mêler nos fanatiques de l’État-nation!