Une réplique envoyé à Marie-Claude Lortie pour un « oubli » dans son texte de jeudi:
Madame Lortie,
C’est toujours avec plaisir que je lis vos textes sur la Scandinavie, en particulier Copenhague qui est une ville que j’adore.
Je vous avoue cependant que je trouve souvent votre regard sur le Danemark très caricatural et qu’il m’arrive de me demander si vous parlez réellement de la même ville où j’ai quelques amis proches qui me l’ont montré sous un tout autre angle. De plus, je me débrouille passablement bien en danois et j’y suis l’actualité régulièrement et « à la source » dans les Politiken, Berlingske Tidende, TV-Avisen et autres.
Concernant votre texte de ce matin, « Dernier tango à Montréal », j’ai trouvé que vous êtes passée un peu trop rapidement sur toute la controverse entraînant DR Konserthuset de Jean Nouvel, et plus globalement le DR Byen tout entier. Une affaire que les médias danois ont couvert pendant plusieurs années.
Bo Christiansen vous parle de la culture du compromis, de la confiance envers les gestionnaires. Il oublie, ou vous n’avez pas écrit, que cette confiance est assortie d’une rigueur toute germanique qui fait qu’au Danemark on sait qu’on ne peut pas manipuler les chiffres et se servir impunément comme il arrive trop souvent au Québec.
Le DR Byen devait être construit pour 3.5 milliards de couronnes, incluant l’inflation et une marge de 15% pour les éventuels dépassements de coûts. En 2004, en s’apercevant que la construction de la salle de concert était plus compliquée que prévu, on a rapporté un premier dépassement de 300 millions de couronnes.
La première tête à rouler fut Christian S. Nissen, directeur-général de DR, congédié purement et simplement. Un haut-fonctionnaire ironiquement connu pour son « couteau » dans la gestion des dépenses, par exemple lors de son passage au Rigshospitalet. Jørgen Kleener, président du conseil d’administration de DR, démissionne de son poste pour la même raison. Christian S. Nissen est remplacé par Kenneth Plummer, obligé de couper 90 millions de couronnes dans les opérations de DR.
Deux ans plus tard, les dépassement de coûts ont atteint 600 millions de couronnes. Bent Fjord, directeur financier de Danmarks Radio, démissionne et on congédie le responsable de construction du DR Byen, Kjeld Boye Møller. DR transfère le dossier au vérificateur général du Danemark, Rigsrevisionen.
Le rapport conclut que le bâtiment coûtera 34% de plus que le maximum permis par le contrat donné en 1999. Forcé de couper 300 millions de couronnes par an, DR abolit 521 postes. Étrangement, à la même époque, le Danemark remplace la « TV-licens » par la « Medielicens » et donc la redevance qui finance DR est désormais payable aussi pour les téléphones portables 3G, ordinateurs, iPod Touch et autres… De quoi augmenter les revenus de DR, et les Danois ont très bien deviné pourquoi!
Enfin, en 2008, un autre rapport de vérification fait par KPMG et Grant Thornton blâme plusieurs dirigeants de DR pour leur négligence dans la gestion du projet. Trois membres du conseil d’administration démissionnent et le président de celui-ci est congédié par le ministre de la culture Brian Mikkelsen. Tous les partis au Folketing entérinent la décision du ministre.
Vous avez raison, tout ceci ne remet aucunement en question la volonté des villes scandinaves de construire avec style. Ceci dit, force est d’admettre que malgré qu’au Québec on est « cheap » sur l’architecture, on gère les budgets avec une telle impunité et irresponsabilité que ça ne finit pas par coûter autant que ces designs élaborés qui font la renommée des capitales du nord.
Les fans d’architecture ont donc une bonne raison de mettre la mafia dehors du domaine de la construction, tout comme les contribuables seraient certainement plus en confiance face aux projets publics si ceux qui les gèrent auraient autant de comptes à rendre que leurs homologues danois.
Med venligste hilsen
Trop penser, ça donne un blogue... 