En 2002-2003, j’avais écrit, sur un forum français, que le projet de France 24 me rappelait l’ORTF des années 1960 où la télévision et la radio étaient « le gouvernement dans la salle à manger des Français » (cit Alain Peyrefitte). Dommage que le site ait été fermé, j’aimais tellement ce texte! Mais enfin, je me rappelle des grandes lignes…
Il n’y a bien sur aucune raison objective qui empêche l’existence d’une chaine internationale d’information en français ou multilingue basée en France. Là où ça dérape, cependant, c’est quand on affirme que sa raison d’être sera « donner une perspective française sur le monde ». Car moi, et surement que je ne suis pas le seul, j’en déduis automatiquement qu’on mettra en ondes l’agenda du Quai d’Orsay. L’analyse journalistique n’a aucune couleur nationale, c’est une questions d’idées et impossible qu’une personne soit la SEULE à penser comme « ça » sur un sujet donné. J’ajouterai ensuite qu’il faut être passablement aveuglé par le nationalisme pour faire l’amalgame entre les pensées d’un individu et sa nation.
On a dit que Jacques Chirac avait relancé le projet avec la Guerre d’Irak, où aucun discours n’a opposé celui des médias « anglo-saxons » pro-guerre. Difficile de le croire quand on regarde l’étendue de l’opposition à l’invasion du pays.
Pourquoi je parle de cela aujourd’hui? D’abord cet article de Cyberpresse sur l’ajout d’heures au service arabe de France 24.
Bien sûr, en bon gaulliste, le directeur y va du mantra habituel.
Il a assuré que France 24 présentait «une perspective française, différente de ses concurrents anglo-saxons», et notamment une «diversité d’opinions en opposition aux Américains qui ont une vision unifiée du monde».
L’histoire prouve bien qu’en France, la télévision sert le pouvoir. Même 30, 40 ans après la fin de la tutelle directe du Ministère de l’Information, même après la privatisation de TF1… Parlez à Arlette Chabot, Patrick Poivre d’Arvor, Claude Sérillon… des gens tassés de l’antenne parce qu’ils ne plaisaient plus au gouvernement. Comparons ça à l’Angleterre, où il est controversé que le directeur de la BBC rencontre David Cameron car c’est un « threat to independence and impartiality », on est sur une autre planète!
Alors la « perspective française », lâchez-nous: c’est bien la politique française dont on parle. À part cela, c’est le discours de gauche habituel si présent à la télévision, publique comme privée, en Europe. Et justement, quand la NRK ou ARD font de tels reportages, jamais ces gens ne parleraient de perspectives norvégienne ou allemande.
Quant à son deuxième point, le premier l’explique évidemment. Quand Alain de Pouzilhac regarde CNN International, il entend le Département d’État. S’il avait la chance de regarder les trois, CNN, MSNBC et Fox News, il verrait évidemment que la vision du monde varie selon l’alignement éditorial du médias, ce qui n’est pas du tout le cas à la télévision française!
Ce qui m’amène à cet après-midi, où j’ai brièvement regardé une édition spéciale du magazine Kiosque sur TV5. J’ai cessé de regardé l’émission régulièrement après avoir constaté que Christian Rioux, du Devoir, était toujours laissé pour compte « parce que le Canada, c’est petit ». Pourquoi l’inviter si on ne lui laisse que 10 secondes pour parler de la « vision canadienne ».
Bien sûr, la « vision canadienne » intéressait peu de monde de toute façon: qui aime parler de Stephen Harper chez ses bons socialistes? Car Philippe Dessait s’en fout que le Tageszeitung soit plus à gauche que le Financial Times Deutschland, l’important c’est la « vision allemande ». À se demander pourquoi TV5 n’invite pas des diplomates à la place. Vivement Dateline London sur BBC World, au moins les journalistes parlent en leur nom!
Parlant du Tageszeitung, Dorothea Hahn, correspondante à Washington, participait à Kiosque en tant qu’ancienne du panel. Au cours de la conversation, où elle comparait son travail à Paris avec celui aux États-Unis, elle s’est retrouvée à dire que si les Américains s’intégraient plus au monde, s’ils voyaient plus des autres pays, il n’y aurait pas de gens comme le « Tea Party qui sont contre des choses comme la justice sociale ».
Évidemment, le gars de Fox News à côté d’elle n’était pas d’accord mais il n’a pas parlé, seulement ri d’elle.
Car ce qui se cache derrière ses propos, c’est faux. Cette prémisse comme quoi les sociétés sont monolithiques, homogènes, consensuelles, c’est de la foutaise. Oui, certaines lignes de pensées sont plus mainstream que d’autres, plus répandues dans les médias, mais pourquoi faire comme si les autres n’existaient pas? Si Dorothea Hahn prenait la peine de lire des blogues affiliées au FDP, par exemple, elle trouverait une toute autre Allemagne que celle que son journal présente!
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