Troisième épisode de Krach à Radio-Canada.
Les images de Reykjavik sont très belles sur ma télé 42 pouces et je suis enchanté de voir des gens qui parlent islandais, même si c’est doublé par dessus, mais pour la narration…
Et je ne parle pas seulement du fait que Jean-François Lépine semble incapable de prononcer les noms comme il faut!
Commençons par le début, soit l’affirmation grossière selon laquelle les Islandais auraient perdu leurs économies et leurs pensions.
Nul doute que l’inflation a mangé littéralement les comptes bancaires des Islandais et qu’un contrôle des changes a été instauré (encore partiellement en place)… Mais les Islandais ont toujours eu accès à leur argent, rien n’a été bloqué comme on a déjà vu par exemple en Argentine. Les banques ont toujours été ouvertes en Islande. Alors les manifestants anti-gouvernementaux ne demandent pas « leur argent », ils veulent seulement la tête de ceux qui les ont mis dans la merde!
Évidemment, les fonds de pension ont perdu beaucoup d’argent dans la crise (73 milliards de couronnes) et les prestations ont été diminuées en raison des pertes. Mais n’est-ce pas dans la logique des choses? Tôt ou tard, il faudra bien que la Caisse de Dépôt regagne les 40 milliards perdus…
Un rapport d’enquête parlementaire a trouvé que les fonds de pension ont été amenés à mettre de l’argent pour tenter de sauver la couronne, ce qui leur a fait perdre encore plus. De plus, le contrôle des changes a limité leur retour à la croissance puisqu’ils n’ont pas le droit d’augmenter les parts de leurs fonds détenus à l’étranger.
Par ailleurs, l’insistance du gouvernement à voir les fonds de pension jouer un rôle dans l’effacement de la dette personnelle de plusieurs familles islandais nuit à leur recapitalisation.
Cedi dit, la Banque Centrale d’Islande estime que le système de pension islandais a vu sa valeur passer de 134% à 119% du PIB, ce qui demeure exceptionnel selon les données de l’OCDE.
Je gagerais même que, sur les retraites, l’Islande a des leçons à donner aux autres et non l’inverse!
Concernant l’endettement de l’Islande, vrai qu’il est énorme tant par rapport au PIB que par capita OCDE. Ceci dit, c’est avoir la tête dans le sable de penser que le Canada et le Québec sont à l’abri.
Je ne saurais en énumérer toute la liste mais tout ce qui s’appelle taxes, impôts et tarifs a augmenté en Islande. Mais l’État a aussi fait sa part: on a licencié des fonctionnaires et des employés de sociétés d’État, on a diminué les allocations familiales, aucun poste budgétaire n’est épargné. On a même réduit le cabinet, qui est passé de 14 à 10 membres depuis 2007.
Mais malgré cela, en dépit de coupures parfois importantes, l’éducation est toujours gratuite jusqu’à l’université, le système de santé est toujours public… Comme quoi le démantèlement de l’État-providence islandais n’a toujours pas eu lieu.
Je ne dis pas que les Islandais sont heureux de voir certains services diminués tout en payant plus, mais il est indéniable que le gouvernement islandais prend l’austérité budgétaire beaucoup plus au sérieux que d’autres pays.
Pas plus tard que mercredi, le ministre des finances publiait une lettre dans les journaux pour souligner combien l’Islande s’en sortait bien. En 2011, l’Islande est un des 8 pays de l’OCDE à balancer son budget. Comme Québécois, comme Canadiens, comme Américains, comme Français, comme Allemands… NOUS DEVONS ÊTRE JALOUX! Raymond Bachand nous parle de 2014, parce que c’est plus important d’être heureux, et Claudette trouve que ce n’est pas assez!
Dans sa lettre, le ministre des finances rappelle le credo scandinave en matière de finances publiques: tout doit être fait pour préserver l’esprit du modèle social nordique et ne pas trop affecter les pauvres, mais il faut garder le cap sur le fait que des finances publiques saines doit être une priorité pour chaque gouvernement socialement responsable.
On nous rappelle un autre point sur la dette: 84% du PIB selon les calculs officiels (donc plus bas que prévu) mais seulement 43% si on exclut Icesave. Icesave, dont l’État islandais doit rembourser les épargnes perdues aux détenteurs de comptes au Pays-Bas et en Grande-Bretagne. C’est donc dire que si l’Islande se débarrasse de tous les actifs du milieu financier nationalisé, elle se désendette… Pour autant, bien entendu, que le gouvernement ne vende pas à « perte » comme dans le cas de l’assureur Sjova!
Également, les indicateurs sont très optimistes deux ans passé le déclenchement de la crise, chose que l’on n’aurait jamais cru possible à l’automne 2008. Le marché immobilier reprend, l’inflation est à 1.8% et la croissance économique est redevenue positive.
Certes, le chômage demeure à 7% – chiffre catastrophique vu les statistiques des 30 dernières années. Ceci dit, on observe une reprise.
Je n’ai pas pu m’empêcher de sourire quand j’ai remarqué qu’on avait utilisé l’exemple d’une école d’art pour expliquer que les Islandais quittent faute de débouchés professionnels. Voyez-vous, sans être méchant, c’est un domaine où l’emploi est rare à peu près partout. Regardez les statistiques canadiennes qui disent qu’à part les vedettes connues, les salaires dans le domaine avoisinent 20000$ par an.
Le bilan migratoire de l’Islande fluctue, les Islandais sont très mobiles: on étudie, on travaille à l’étranger, on revient, on repart… Vrai que les départs se font de plus en plus nombreux avec la crise mais, sans faire un Jacques Noël de moi-même, il faut aussi penser aux variations dans la population étrangère. Un Islande qui quitte a plus de chance de revenir qu’un étranger qui retourne dans son pays.
Ces temps-ci, on parle aussi beaucoup de ces Islandais qui vont en Norvège parce que les salaires sont plus élevés. Rien à voir avec la crise donc, si un chauffeur d’autobus de Reykjavik gagne beaucoup moins qu’en Norvège et qu’il se décide à faire le saut.
Quant à la criminalité, la consultation des statistiques des dix dernières années ne corrobore pas tout à fait la thèse selon laquelle la crise aurait causé une augmentation des délits. Par contre, les médias en parlent beaucoup plus… Serait-ce donc un vulgaire spin?
À quelque part, on a sur-estimé l’importance des manifestations. Ce que je veux dire par là, c’est que oui le gouvernement a démissionné et il y a eu des élections mais la classe politique s’est à peine renouvelée, le nouveau gouvernement est soupçonné de manigancer en sa faveur et n’est pas plus populaire que l’administration qu’il a remplacé. Je suis d’accord que Geir H. Haarde devait s’en aller, mais on n’est pas du tout dans une logique de table rase comme Birgitta Jonsdottir et son confère chansonnier ont parlé.
Aussi, monsieur détail a grincé des dents: la démission de Geir H. Haarde n’a pas été annoncée dans une « adresse à la nation » mais dans une conférence de presse au siège de son parti, dans l’édifice Valhöll à Reykjavik.
Parlant de Geir H. Haarde, sa présence m’apparait pratiquement inutile. Comme il a déjà été dit, on n’est pas intéressé à savoir les causes, le pourquoi du comment… On veut blâmer le capitalisme, on n’a même pas demandé aux « responsables » ce qu’ils ont fait pour en arriver là puisque la conclusion est déjà écrite.
Ce qui me ramène à l’intervention du ministre des finances actuel, Steingrímur J. Sigfússon, que l’on entend déblatérer sur la faute du néolibéralisme. Une cassette qui n’a pas changé depuis son allocution du 2 octobre 2008 devant l’Althing (vidéo). On est au moins sur d’une chose: il ne change pas d’idée souvent! Mais, encore une fois, il n’était là que pour démontrer la conclusion écrite d’avance.
Je termine sur l’inexacte conclusion, le lien fait entre l’Islande et la Californie… Jean-François Lépine dit que parce que l’Islande a « un système social », c’est moins pire que là où « il n’y en a pas » comme aux USA…
Allons voir ici et là: Je n’ai pas l’impression qu’on fasse des cadeaux aux chômeurs dans chacun des pays.
Quant aux organismes de charité islandais, ils sont débordés et, comme aux États-Unis, ce sont des ONG qui sont sur le terrain. Quoique Hjálparstarf kirkjunnar, la branche de charité de l’Église Luthérienne d’Islande, est tout de même financée par l’impôt des protestants recueilli par l’État puisque les deux ne sont pas séparés… Et que les deux autres organismes reçoivent de l’argent des municipalités, mais enfin vous comprendrez que l’on n’est pas dans une logique de charité étatique directe telle que Jean-François Lépine entrevoyait pour l’Islande.
À suivre, donc, la semaine prochaine… dernier épisode!
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